Article N°5

DISCOURS DE LA VIOLENCE POUR LE COMBAT DES MAUX DANSALLAH N’EST PAS OBLIGE.
OUATTARA Zié Yacouba



RESUME
On est habitué, dans le discours romanesque contemporain, à la différence d’optique entre fond et forme, contenu et expression; on en a même fait, quelques fois, sinon un élément de poéticité immanente, du moins un fait d’expressivité. Kourouma, dans Allah n’est pas obligé, semble s’être délibérément placé en porte-à-faux avec cette tendance. Fond et forme, contenu et expression convergent ici en tous points pour dire, à travers des dénotés et connotés, la violence inscrite dans l’univers référentiel : et cela, à un point tel que la seule observation de l’architecture linguistique de détails du texte permet de retrouver, sans difficulté majeure, tel dans un miroir, le reflet de la sémantique du combat.

MOTS CLES : Combat - maux - substantifs - verbes parataxe - structure-mélodique- discours - colonisation - violence.  

INTRODUCTION
Si à propos de ses tous premiers romans, l’on est fondé à dire qu’Ahmadou Kourouma a transposé le malinké en français, on le serait moins à propos de Allah n’est pas obligé. Dans ce roman, l’écrivain a campé des personnages de l’Afrique traditionnelle dans des univers traditionnels avec leurs contextes environnementaux et culturels bien enracinés dans leur culture ancestrale. Par conséquent, le langage change, tout comme, d’ailleurs, les autres paramètres du récit. Mais au-delà du décor général fluctuant d’une œuvre à l’œuvre ce qui se remarque dans Allah n’est pas obligé, c’est de toute évidence, la truculence du langage ou pour être plus proche du vrai, la crudité des mots et des expressions, en un mot, la violence du langage ou, du moins, le langage de la servitude combative en rapport étroit avec la violence des évènements décrits, c’est-à-dire du réel occurrent : Si dans Les Soleils des indépendances on a pu parler de la «chose» de Salimata ou du «viril» entre les « jambes » de Fama, formules on ne peut plus euphémiques, dans Allah n’est pas obligé, on ne passe pas par quatre chemins pour évoquer le «bangala» des hommes ou le «Gnonssou» des femmes. Mais on le verra, il y a plus percutant encore. L’objet de la présente réflexion est de donner un aperçu de ce langage particulier qui semble bien épouser les contours de son univers de référence. Il s’agira de voir avec quels termes, sous quels agencements et dans quels tours Kourouma rend l’atmosphère de violence sémantique qui caractérise d’un bout à l’autre, cette fresque de l’Afrique de ce début XXIe siècle. Pour réussir cette étude, la stylistique structurale de Michaël Riffaterre et la linguistique énonciative sous l’usage de Catherine Kerbrat orrechioni sont convoquées. Guidé par la problématique énoncée ci-dessus, adossé à la méthode de Riffatterre et à celle de Kerbrat Orrechioni, nous examinons dans l’ordre :  Les éléments du vocabulaire dans leurs emplois et leurs agencements internes;  La phrase dans ses structures rhétoriques et syntaxico-sémantiques.

I- L’emploi et l’agencement des mots dans la phrase.
Ce qui frappe sur le plan du vocabulaire dans ce roman de Kourouma est la grande variété des mots employés. Il est impossible de parler d’indigence lexicale dans ce cadre, tant apparaissent à foison les termes à valeur véritablement dénotative. De surcroît, derrière tout ce foisonnement, un seul dénominateur commun se profile : la violence. Aussi avons-nous les substantifs, les verbes et les caractérisants (adjectifs ou adverbes) dénotant tous ou pour le moins connotant la violence.

I.1- Les tendances
Pour les substantifs, nous n’allons pas prétendre à l’exhaustivité mais mettre en évidence un éventail d’au moins six registres importants de violence aussi bien physique que morale. Ces registres sont :

I.1.1- Agents de la mort
Par agents de la mort, il faut entendre ici tout ce qui est pourvoyeur de mort (êtres humains, moyens mécaniques, simples objets, etc.) les mots les plus récurrents ici sont : enfants soldats et sa variante anglophone « small soldiers » (terme qu’on rencontre presque à toutes les pages de l’œuvre) : « égorgeurs » (P.20) « bandits » (P21) « assassins » (P10) « tueurs » « mitrailleurs » « guérilleros » (p118), etc. A ces agents directs et imparables de la mort, il faut ajouter les agents plus ou moins voilés; plus ou moins indirects à savoir « sorcier » (P22) « grigriman » (P43) « féticheurs, mangeur d’âmes » (P173) etc.Toutefois, ces agents ne sont rien sans les moyens divers dont ils disposent.

I.1.2- Armes, moyens de morts
Ces moyens sont à l’image de la structure interne des agents de mort, de configuration bipolaire : d’un côté, les moyens modernes distingués par leur efficacité le redoutable; de l’autre, les moyens ou armes traditionnelles, moins tranchants immédiatement mais assez morbides. Nous avons « fusils » (P.43), « Kalachnikov »et sa troncation apocopique « Kalach » « arsenal », « rafales », « grigris » (P16), « balle » (P58) « djigbo = Fétiche » (P23).

I.1.3- Effets de la violence sur les victimes (mortes ou encore vivantes)
Il s’agit ici des manifestations sensibles de la violence exercée par les agents de mort par le truchement des armes. Ces manifestations pour les humains c’est, d’abord et avant tout, la douleur. Les expressions de cette terrible sensation sont presqu’équitablement distribuées aux différentes pages de l’œuvre. En voici un échantillon « sanglots » (P17) « douleur » (p20), « Larmes » (p19 et p21) « pleurs» (P19). En somme la mort est omniprésente dans l’œuvre d’Ahmadou Kourouma.

I.1.4- Injures – imprécations
La présence de ce type de mots montre bien qu’il ne s’agit pas uniquement ici de violence physique ; bien au contraire, le pullulement de mots du registre de la violence verbale donne une idée du caractère multiforme de la violence. Par cette modalité expressive de la violence, Kourouma n’a pas cherché à voiler le réel répugnant par une expression convenue artificielle, en deçà de ce qu’offre le réel. A réel abject et répugnant, langage scatologique. Ce ne sont, d’ailleurs, pas les imprécations et autres obscénités comme « merde », « salaud », « putain » (p10), « sauvage » (p22), « mécréants », « méchants », (p17) ou les jurons impudiques comme « fafro » (sexe de mon père), « gnamokode » (bâtard) qui nous contrediraient. Nous pouvons ajouter également à ces noms communs quelques termes particulièrement originaux de l’onomastique, en particulier les noms propres et autres sobriquets de personnage comme Kid (Capitaine Kid (p.62)) tête brûlée (P80), etc. Comme « seule partie du discours » qui a le pouvoir de désigner les entités sur lesquelles peuvent porter les prédications, les noms donnent ici des indications déjà décisives sur l’orientation générale du discours. On voit, en effet, combien ces substantifs illustrent par leur seule présence, l’étendue de la gamme de violences et de souffrances en question dans l’œuvre. Mais sans doute, n’en offrent-ils pas toutes les arcanes, toutes les ramifications, notamment au niveau des actions individuelles et collectives au niveau du décor et des attributs des différents actants du procès. C’est entre ces différents points de vue que l’examen des parties essentielles du discours que sont les verbes et les caractérisants adjectivaux ou adverbiaux importe.

I.2- Les verbes
Les verbes en particulier dénotent également la violence. On compte au moins 252 verbes dans ce roman de 224 pages. Les actions exprimées tournent autour de la thématique suivante :

1- Donner la mort (avec plus ou moins de cruauté).
« tuer », « saigner », « Zigouiller » (p77) « trouer »« tisonnier » « entailler », « égorger », « massacrer », « arracher » (une partie du corps), « couper »(une ou sur une partie de son corps)cf 138, « torturer », « punir », « appuyer », (sur la détente) (p74), « vider son chargeur » (p89) « amputer » (p94) « couper »(la jambe) (p94).

2- Mourir généralement de mort violente, creva, « tomba » « décrocher » « mourir », « rendre l’âme ».


3- Se décomposer (par putréfaction) « pourrir », « empester » p.139) « bouffer »(le pied) (p.24), « bouffer »(le mollet) p24.


4- Donner la souffrance « torturer », « s’acharner » (sur la victime ou une partie de son corps), « frapper »« violer », « casser » une partie du corps, « piquer » notons que le verbe « souffrir » lui-même ainsi que son dérivé nominal «souffrance » sont rarement employés.


I.3- Les caractérisants
Signalons que deux sortes de caractérisants retiennent notre attention, en ce qu’ils sont employés d’une façon particulièrement massive. Les adjectifs caractérisent des noms et les adverbes caractérisent des verbes.

I.3.1- Les adjectifs
Ils offrent la plus grande occurrence, rares sont en effet les phrases dans Allah n’est pas obligé qui ne comportent plus au moins un adjectif qualificatif de valeur vraiment prédicative. Or, il se trouve justement que la plupart de ces mots dans Allah n’est pas obligé sont manifestement comptables du paradigme de la violence qu’on a jugé par leur tendance ; soit qu’il s’agisse de violence physique, soit qu’il s’agisse au contraire dela violence morale. Nous avons ainsi « fauché », « tué », « éclopé » (p142), « effiloché», « malingre » (p14), « assassiné », « violé » (p117),« foutu » (cassé) (p117). La violence morale inscrite dans la caractérisation adjectivale partielle de la description apparemment objective (sanguinaire, exécrable, anthropophage) (p60) « scabreux » p63, « soûl, ding, intraitable »(p67), «bouleversé» à des qualifications de nature impérative (bushmen sauvage, salopards (p61)) « couillons, combinards» (p87) « abrutis » (p62) ou simplement axiologique « incorrecte » (p72) « insolent, inhumain», « cruel, féroce, désolant » p82, « foutu-montre », (pays) p84etc.

I.3.2- Les adverbes
Dans notrelecorpus, ce sont les adverbes de manière en ment qui sont les plus nombreux et en même temps, les plus frappant en ce qu’ils ont une valeur descriptive absolument indiscutable.Nous rencontrons pêle-mêle « affreusement » (p141) « totalement, complètement » dans des énoncés comme :  ils avaient affreusement torturé avant de les assassiner (p141).  il se saisit vigoureusement d’une vieille arme (P85)  il torturera affreusement thomas Ouankpa avant de le tuer (p103). A côté de ces adverbes de portée essentiellement descriptive, se trouvent aussi ceux qui, entrent normalement dans des morphèmes discontinus des valeurs consécutives, ne manquent pas d’emporter en même temps et excessivement l’idée de renforcement de soulignement. C’est sans nul doute le cas de «tellement» dans des formulations du genre de celles que voici.  C’était tellement, tellement mélodieux, ça m’a fait pleurer (p.61).  C’est tellement (…) bon que ça donne envie à beaucoup (p10) Qu’ils décrivent une action avec nuance de renforcement sémantique ou qu’ils entrent dans des structures grammaticales à vocation consécutives, les adverbes, on le voit, donne une marque nette d’intensité aux formulations. Les adverbes à connotation axiologique comme « terriblement », « vraiment », « malheureusement » qui apparaissent çà et là le font que confirmer et souligner cette tendance générale.

I.3.3- Les syntagmes prépositionnels
Il s'agit naturellement de syntagmes prépositionnels non autonomes, c'est-à-dire, de structures prépositionnelles dépendant étroitement de constituants de niveau supérieur ou dépendant, plus consubstantiellement, de noyaux de certains constituants comme le nom ou le verbe. Leur point commun avec adjectifs et adverbes tient justement à cette fonction d'expansions plus ou moins indispensables de ces constituants. Moins nombreux, il est vrai, comparés aux adjectifs et aux adverbes notamment, sont les syntagmes prépositionnels de ce genre qui marquent, sans équivoque, la violence et ses dérivés. N'empêche que les quelques-uns que l'on trouve dans ce rôle contribuent follement à l'expression de l'atmosphère de férocité ou, tout au moins, de morosité ambiante. On en veut pour preuve des expressions comme: "à chaudes larmes", "en plein!' (p.64); "en coupe réglée" (p.68), "en otage" (p.69), "en pagaille", "en pleur", "à la vindicte publique". Si, dans l'ensemble, les substantifs, de par leur nature d'évocateurs du réel, ou plus précisément de décodeurs du monde, ont permis de poser le cadre des événements et des faits du roman , si les verbes de leur côté, ont favorisé l'énoncé du "faire" des actants de cet univers particulier, ce sont surtout les caractérisants qu'on vient d'évoquer au travers des adjectifs, des adverbes et, dans une moindre mesure, des syntagmes prépositionnels, qui nous ont permis de découvrir les vraies couleurs, c'est-à-dire les caractéristiques profondes et du monde évoqué et des actes posés. C'est dire combien a été riche en enseignements relatifs à notre sujet de préoccupation, cette visite nécessaire au sous-bassement lexical de l’énoncé occurrent.Munis de tels acquis, il ne nous reste plus qu’à rechercher, à divers autres niveaux, quelques points de renforcement.

I.3.4- Emplois particuliers
Deux faits relatifs à l’emploi fait de certaines des catégories de mots qui viennent d’être étudiées permettent d’éclairer davantage encore les observations faites précédemment, à savoir que le discours romanesque en vigueur dans Allah n'est pas obligé constitue véritablement un miroir de la violence inscrite dans le réel ambiant. Il s’agit, d’une part, de l’emploi, par énallage pronominal, du démonstratif ça en position de sujet, et, d’autre part, de la réitération, particulièrement expressive, de certains caractérisants adverbiaux.

I.3.4.1- L’énallage pronominal par le démonstratif ça
On appelle énallage, écrit Jean Dubois "l’utilisation à la place de la forme grammaticale attendue d'une autre forme qui en prend exceptionnellement la valeur" .En l’occurrence, la forme grammaticale substituée est la forme écrasée du démonstratif "cela" devenue, par mesure ou glissement phonique, "ça". Quant aux formes sous-entendues, ce sont, selon le cas, l’indéfini "on", les personnels "ils" ou "il". On sait que relativement aux formes régulières "cela" ou "ceci", cette forme, dite "syncopée" par Le Robert, a une connotation plutôt le plus souvent, en position de complément. C’est ainsi qu’on dit ordinairement : "prend ça !" "donne-moi ça". Utilisée, comme on le verra ici, de façon absolue et en position de sujet à la place des pronoms personnels proclitiques, elle marque soit l’ironie, soit la dérision, ce qui constitue, on s’en doute bien, une violence verbale. Cette marque de distance ironique envers les personnages ainsi désignés aurait pu, dans le maillage lexical foisonnant du discours romanesque occurrent, passer inaperçu si n’avait été cette sorte d’insistance ou même d’ostentation qui caractérise leur emploi d’un bout à l’autre de l’œuvre. D’ailleurs la prégnance quantitative est doublée d'une prégnance qualitative dans la mesure où, comme on l’a signalé ci-dessus, la substitution touche des pronoms proclitiques de nature différente de l'indéfini ON, soit qu'elle implicite plutôt les personnels "ils" ou "il". ÇA = ON EX : "Et les tam-tams reprirent de plus belle, d plus trépidant Et les chants plus mélodieux que cl De temps en temps, ça servait du vin de palme,..."(p.65). Dans cet emploi, rien ne permet de distinguer un référent précis qui puisse, même à un niveau sémantique, jouer le rôle de sujet implicite. L'indétermination joue alors en faveur de l’indéfini ON, naturellement, en structure de surface. ÇA = IL Ex : "Le colonel Papa le bon, pour être plus sérieux, plus disponible, se débarrassa de son Kalach. Ça le plaça pas loin (…) ça se dirige à pas hésitants vers cercle des femmes" (p. 65) Le réfèrent de ÇA est nettement identifiable à travers le nom propre qui précède immédiatement, en l'occurrence : "Le colonel Papa le bon". Mais à l'anaphorique IL normalement attendu, s'est substitué ÇA. ÇA = ILS ou ELLES EX 1 : "Les lycaons, c'est les chiens sauvages qui dansent en bandes. Ça bouffe tout; père, mère, tout et tout (...) Ça n'a pas pitié" (p.179). EX 2 : "Il y a des filles, oui, des vraies filles qui ont le kalach. Elles ne sont pas nombreuses. C'est les plus cruelles; Ça peut te permettreune abeille vivante dans ton œil ouvert" (p. 179) Même transparence dans l'identification des références ; même fluidité dans la distribution des anaphoriques.Ces emplois audacieux du démonstratif sont légion dans le corpus. Kourouma, par ce procédé, sans doute, ironise sur la légèreté, la banalité des actes et comportements des personnages ; actes et comportements qu’il ravale au rang de clichés . Cette sorte de jugement sévère que l'auteur (à travers le narrateur) émet sur le "faire" de ses personnages, indique clairement qu'il n'est pas si indifférent à la déchéance collective qu'il campe. C'est cette attitude critique que souligne également le renforcement expressif des adverbes de manière.

I.3.5- Reprise expressive des caractérisants adverbiaux
On a vu plus haut quel usage redondant est fait des caractérisants adverbiaux en tant que simples unités du lexique. Déjà, à ce niveau on avait noté la densité et la variété de leur emploi. Ce qui reste à signaler et à visiter intrinsèquement, c'est, sans doute dans la même optique de marquage stylistique des faits évoqués, la reprise concomitante et aussi systématique de ces éléments chaque fois qu'ils apparaissent dans le discours. En voici, pour s'en faire une idée, un échantillon qu'on a voulu représentatif de l'ensemble. On y remarquera deux variantes du même procédé : soit la reprise porte strictement sur le même adverbe, soit elle convoque, en guise de renforcement, un autre adverbe de même valeur sémantique certes, mais qui ajoute une tonalité expressive supplémentaire :

I.3.5.1-Reprise du même adverbe
Reprise avec renforcement EX : "Et les choses se passent bien, très bien" (p.54) Certes, le deuxième emploi est renforcé par l'adverbe d'intensité "très", mais on convient qu'il s'agit toujours du même adverbe de départ (à savoir bien) qui se trouve en l'occurrence renforcé en degré d'intensité. Reprise sans renforcement Ici, il s'agit de la réitération plate, c'est-à-dire, sans hiérarchie syntaxique, à plus forte raison sémantique, évidente, du même adverbe sur un axe linéaire. C'est, de loin, la forme la plus fréquente dans le corpus. EX. 1 : "ils se jettent dessus comme des fauves, tellement, tellement ils ont faim" (p.107) EX 2 : "C'est tellement, tellement bon que ça donne envie à beaucoup "beaucoup" (p. 107) EX3 : "La plupart, la grande majorité, lèchent la barbiche, rient aux éclats bruyamment tellement, tellement ils sont contents d’avoir bien mangé" (p. 103) Reprise par un autre adverbe Anoter qu'ici le jeu porte sur deux adverbes qui, dans l’un ou l’autre cas, c’est-à-dire, mutuellement selon les occurrences, se renforcent. Il s’agit des adverbes "totalement" et "complètement", deux adverbes (et ce n’est pas un hasard) qui marquent la plénitude. EX 1: "Si le capitaine opère ta jambe, tu vas mourir, complètement mourir, totalement mourir comme un chien" (p.25) EX 2: "Le conducteur de moto et le mec qui faisait faro derrière la moto étaient tous deux morts, complètement, totalement morts" (p.53) Comme le suggère tout le procédé même de la reprise des adverbes, ce qui est souligné ici à travers l’utilisation alternative et fort redondante des adverbes "complètement" et "totalement", c’est la véhémence et, d'une certaine manière, la radicalité des faits évoqués. Ainsi donc, loin d’infirmer la cruauté du réel et des actions dans l’univers décrit, l’utilisation particulière du démonstratif ça et des caractéristiques adverbiaux en soulignant plutôt l’ampleur, voire l’extrémisme. De plus, ils trahissent de la part du narrateur et, au-delà, de l’auteur, une nette attitude de dédain, de désapprobation.

II- De la puissance combative des maux de la société
Le discours de la violence pour le combat des maux est le leitmotiv de l’écriture romanesque de Kourouma. Des soleils des independances jusqu’a quand on refuse on dit non, l’engagement scripturaire de Kourouma est sans conteste. En effet, cet univers est constamment marqué par une ambiance de conflit d’hostilité, de combat de guerre et de lutte de libération. Ladite libération est la conquête de la véritable indépendance de nos pays tropicalisés débarrassés de tout. L’auteur de quand on Refuse, On dit non utilise les mots pour décrire la situation de malaise que vit l’Afrique depuis les indépendances. Il pourrait renchérir à la suite de René Dumont que l’Afrique est vraiment mal partie. Dans écrire a l’infinitif, la déraison de l’écriture dans les romans de williams sassine, PUIS N’gandu NKashama estime que l’écrivain africain est « un écrivain public » qui se flatte d’ailleurs de pouvoir lutter contre la dictature par l’intermédiaire des mots donc de l’écriture. C’est dans de ce registre que s’inscrit Kourouma; lorsqu’il livre la guerre à toutes les forces léguées qui assujettissent et maintiennent les peuples sous leur tutelle. Pour l’auteur des soleils des indépendances, cela est clair, les forces de domination et d’exploitation constituent principalement les maux dont souffre l’Afrique. Ces maux l’étouffent et l’empêchent de se développer.

CONCLUSION
Au sens le plus immédiat" écrit Yves Michaud « la violence renvoie à des comportements et à des actions physiques » : elle consiste dans l’emploi de la force contre quelqu’un avec les dommages que cela entraîne. Cette force prend la qualification de violence en fonction des normes qui varient historiquement et culturellement, s’il y a des faits que nous nous accordons à considérer comme violents (la torture, l’exécution, les coups) d’autres dépendent pour leur appréhension des normes en vigueur. Le discours de la violence devient alors tout élément discursif devant permettre la monstration de cette violence dans le but ultime de la combattre. L’écriture se revêt alors comme une arme de combat, d’un combat courageux qu’il faut mener. La guerre aux maux ou le combat des maux de la société se fait avec des mots de violence qui en l’occurrence se révèlent des instruments efficaces. Il apparaît alors clairement qu’avec des sociétés dans lesquelles l’apprentissage de la langue française peut favoriser une culture plus poussée et l’amélioration des moyens d’expression, on peut avancer sans risque de se tromper que l’écriture romanesque sous les tropiques peut être un paramètre de la démocratieplus on a la liberté de s’exprimer, mieux cela vaudra pour la démocratie. C’est fort à propos que le colloque sur la langue, l’éducation et la démocratie est le bienvenu.Ilne saurait y avoir d’éducation sans langue ni de meilleure éducation sans démocratie. En somme le discours de la violence pour le combat des maux est une hymne de liberté et de fraternité.

BIBLIOGRAPHIE
ARRIVÉ (Michel) et Al: La Grammaire d'aujourd’hui, guide alphabétique de linguistique française, Paris, Flammarion, 1986, 719 p. BEGHADE (Hervé) : Syntaxe du français moderne et contemporain, Paris, PUF (Coll. "Fondamental"), 3ème édition revue et augmentée, 1993 (1986), 334 p. BORGAMANO (Madeleine) : Ahmadou Kourouma, le "guerrier" griot, Paris, L'Harmattan, 1998, 252 p. CRESSOT (Marcel) : Le Style et ses techniques, Paris, PUF, 10ème édition, 1980 (1947), 370 p. DELOFFRE (Frédéric): - Une Préciosité nouvelle: Marivaux et le marivaudage, Paris, A. Colin, » 67, 613 p. - La Phrase française, Paris, CDU et SEDES réunis, 4ème édition, revue et corrigé, 1979 (1979), 145 p. Stylistique et poétique françaises, Paris CDU et SEDES réunis, 2ème édition, 1974 (1970), 214p. DUBOIS (Jean) et Al : Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 2002 (1994), 513p. GASSAMA Makhily : La Langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique, Paris, ACCT-KARTHALA, 1995, 123p. KOUROUMA (Ahmadou) : Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2002, (2000), 232p Les Soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1995 (1970), 195 p. En Attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil 1998, 357 p. LE BIDOIS (Georges) et LE BIDOIS (Robert): Syntaxe du français moderne. Ses fondements historiques et psychologiques, Paris, Editions Auguste Picard, TI et TU, 1967, 558 p et 794 p. MAZALEYRAT (Jean) et MOLINIÉ (Georges) : Vocabulaire de la stylistique, Paris, P.U.F., 1989, 381 p. MORIER (Henri) : Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, P.U.F, 1961, 490 p. RIFFATERRE (Michael): Essais de Stylistique structurale. Présentation et traduction de Daniel Delas, Paris, Flammarion, 1971, 364 p. STENDHAL (Henri Beyle, dit) : Le Rouge et le noir : chronique du XIXème siècle. Texte établi et annoté par Pierre Georges Castex, Paris, Garnier Frères, 1973, 733 p. WARTBURG (Walter Von) et ZUMTHOR (Paul) : Précis de Syntaxe du français contemporain, A. Francke A. G. Verlag Bern, 2èmc édition entièrement remaniée, 1958 (1947), 400 p.